Trottinette et acteurs de citoyenneté urbaine

Paysagiste conceptrice s’intéressant à l’aménagement urbain et au cadre de vie et utilisatrice peu fréquente mais régulière de trottinette (deux fois par semaine environ), je me suis interrogée sur la « bonne » place de la trottinette en ville et de sa coexistence avec les autres modes de déplacement individuel( piéton vélo et voiture).

Vendredi 7 juin, les médias rapportent quelques-unes des options retenues par Anne Hidalgo concernant la règlementation des trottinettes à Paris, dont notamment :

  • la réduction du nombre de prestataire et le nombre de trottinette dans la ville,
  • la limitation de la vitesse à 20km/h voire 8km/h en zone piétonne,
  • l’interdiction du stationnement sur les trottoirs.

La proposition ci-dessous vise à nuancer certains des propos et développer une contribution réfléchie, fondée sur l’observation ainsi qu’une critique constructive de la présence à Paris de la trottinette, qui j’en suis persuadée est une très belle initiative d’alternative de mobilité urbaine.

Le laxisme de la réglementation, sans oublier également le caractère soudain de l’apparition de ce nouveau type de mobilité, a entrainé des débordements regrettables, entre incivilités et conséquences parfois graves, récemment un décès, et le plus souvent de grosses frayeurs qui ne doivent pour autant pas être minimisés puisqu’ils traduisent un dysfonctionnement, qu’il soit d’ordre comportemental, ou règlementaire. A qui la responsabilité ? Quelles propositions pour agir ?

Propositions pour un meilleur usage de la trottinette :

UNE CIRCULATION RAISONNEE
La nécessité d’interdire la circulation de trottinettes sur les trottoirs paraît évidente ; le piéton est fragile, il a une absolue priorité. Aujourd’hui, une trottinette peut attendre 25 km/h, vitesse très rapide à l’échelle du piéton.
En outre, son poids et son envergure en cas de chute de son utilisateur en fait un véritable projectile. Elle est donc absolument incompatible avec une déambulation sereine. ==> Responsabilité utilisateur et collectivité (amende)

Une dérogation s’applique lorsqu’il s’agit d’espace mixte, partagé, et là aussi le bridage de la vitesse paraît indispensable : 18 km/h, c’est déjà une vitesse à laquelle on dépasse de nombreux cyclistes, en ville du moins.
On pourrait envisager un mode « zone piétonne » bridant la trottinette en effet à 8km/ h. En cas d’infraction, l’activation ou non de ce mode « zone piétonne » peut être très simplement vérifiée et donc verbalisée en cas de contrôle. Les entreprises ont donc une responsabilité dans la fabrication/optimisation de leurs engins ==>Responsabilité entreprise

La circulation est autorisée sur les pistes et voies cyclables. Sur la voirie se pose tout de même la question : en effet lorsque l’utilisateur doit éviter un véhicule ou obstacle sur la voie cyclable, il doit être mesure d’annoncer au véhicule de derrière qu’il va se déporter. Or conduire une trottinette d’une main n’est pas chose aisée, du fait du manque d’équilibre et des fissures/ nids de poule que les trottinettes ne peuvent amortir. Le bon sens voudrait qu’en cas d’obstacle, la trottinette s’arrête et change d’axe de circulation quand celle ci est effectivement sans risque ==> Responsabilité utilisateur

 

UNE REPARTITION GEOGRAPHIQUE ET CITOYENNE DE LA TROTTINETTE
Pour étudier correctement la problématique de la trottinette il est nécessaire de comprendre quel est le business modèle de ces dernières : à ce jour, pour une marque de trottinette, il y existe une application, soit quasi une douzaine à Paris. Leurs flottes respectives ne sont pas toutes égales mais cela participe au caractère anarchique, puisque chacun ne s’occupe que de sa marque de trottinette.
Finalement étant donné les usages on retrouve les mêmes marques dans tous les quartiers. Il semble donc raisonnable de n’avoir que quelques opérateurs (via appel d’offre publique), non pas nécessairement pour réduire le nombre de trottinettes mais pour réguler leur bon entretien (replacement) ==> responsabilité Collectivité et entreprise
En effet, le marché de la trottinette fonctionne du fait du grand nombre de trottinettes reparties (inégalement, on le verra plus tard), sur le territoire parisien. Un moyen de fidéliser son client est évidement de faire en sorte que ce dernier trouve dans un rayon de recherche une offre pour répondre à son besoin de mobilité et cela n’est faisable (comme l’a montré l’expérience Velib) que par une bonne répartition géographique.

On observe cependant une inégalité de cette offre géographique de la trottinette : ce sont essentiellement dans les quartiers touristiques que les trottinettes sont trouvables (%age utilisateurs type touriste/ utilisateurs locaux). Or pour des quartiers présentant de forts dénivelés, ou bien aux dessertes de métro espacées, la présence de la trottinette pourrait être une bonne alternative facilitatrice de déplacements (quartier avec dénivelé, type Ménilmontant, Buttes Chaumont, Montmartre, Montsouris, quartier à desserte métro éloigné type type 20eme/ 19eme, 14eme, 15eme…La trottinette constituerait un atout pour s’y déplacer. Les entreprises ont une responsabilité citoyenne de ce points de vue là :è responsabilité entreprise.

STATIONNEMENT DES TROTTINETTES ET INTELLIGENCE NUMERIQUE
En vertu du bon sens et du savoir vivre ensemble, un effort doit être réalisé de la part de l’utilisateur ; ce dernier doit accepter que la trottinette ne le dépose pas exactement au pied de sa destination : en effet les trottoirs parisiens n’étant souvent pas bien larges, souvent réduits entre les potelets, les poubelles…
Etant donné la dimension moyenne des trottinettes, leur positionnement ne doit pas être un obstacle pour les personnes malvoyantes, ou tout simplement non attentives où elle posent leur pieds… Cela tend vers l’établissement d’une signalétique, au sol ou par panneaux de zone de stationnement obligatoires.

Cela doit passer par un travail fin de repérage des zones où il est tout à fait possible de se garer. En effet interdire tout bonnement le stationnement sur les trottoirs, et mettre en concurrence des zones de stationnement voitures/vélos/motos, entrainent une surenchère farouche des modes de

déplacement et tensions inutiles, qui mettront à mal le système de mobilité alternative qu’offrent les trottinettes.

Le système d’utilisation de trottinettes fonctionne grâce à la géolocalisation. Une fois l’application et la géolocalisation activées, une carte indique les trottinettes les plus proches de nous.
A l’heure de la smart city et des collectes des données, il est tout à fait possible de compléter l’offre de localisation en repérant dans l’espace public piéton des zones qui ne sont pas utilisées par le piéton et qui peuvent être valorisées en zone de stationnement de trottinette.

Par exemple :

  • entre deux arbres,
  • sur les zones sablées de certains trottoirs larges
  • sur les cotés des kiosques à journaux, des abris bus,
  • en arrière des escaliers de sorties de métro,
  • dans les virages de certains trottoirs amples coté voirie, sur les places et placettes,
  • entre deux bornes hors passage piétons évidemment…

Il en ressort un travail fin de repérage via une signalétique au sol ou par panneaux. Il est largement possible avec un travail attentif à l’utilisation du sol urbain de proposer des solutions simples sans investissement majeur, mais qui permettraient de réguler efficacement cette problématique de stationnement des trottinettes.

Actuellement certaines applications demandent de photographier la zone de stationnement. En analysant l’ensemble des photos, il est possible de dresser rapidement une carte de bonne manière de stationner.
Profitant donc de la géolocalisation, et de l’intelligence artificielle de reconnaissance photographique, un message pourrait préciser à l’utilisateur si la trottinette est bien stationnée ou le montant qui lui sera débiter (ou menacer d’être débité) si le stationnement n’est pas reconnu comme acceptable .

Cette carte peut tout à fait être complétée à travers la participation active des utilisateurs. Ainsi, lorsqu’un nouvel emplacement est pressenti, l’entreprise fait une demande à la mairie qui donne son accord ou non en fonction de la quantité de zone de stationnement déjà accordé ==> Responsabilité collectivité et entreprise et utilisateur.

Le regroupement de zone de stationnement de trottinette permet également d’éviter que des passants rageurs (pour l’avoir déjà vu) renversent par énervement les trottinettes éparses sur un linéaire de trottoir…

EXPERIENCE UTILISATEUR ET AMELIORATIONS
J’utilise à ce jour l’application flash, par pur hasard il faut le dire car c’est en passant devant l’une de leurs trottinettes, un beau dimanche ensoleillé que l’on s’est dit avec mon compagnon, fan d’engins à deux roues (divers et variés donc !) qu’une balade parisienne à trottinette pourrait être sympathique.
Leur application très bien faite demande de commenter l’expérience de l’utilisation de la trottinette à chaque fois, permettant à l’utilisateur d’alerter sur les défauts (rares mais existants) des trottinettes utilisées.

Par ailleurs, le service commercial m’a contactée au bout d’un mois d’utilisation pour me demander mon avis sur leurs trottinettes, et c’est déjà lors de cette discussion que j’ai pu faire part de mon avis sur les problématiques de poids/stabilité de l’engin, de la gestion du stationnement, des modalité de recharge, et de responsabilité éthique et sociale. Reste à voir comment ce retour aura été traduit en actions concrètes, mais quoiqu’il en soit lors de l’émergence de nouveaux produits et services bénéfiques, un coup de pouce est mérité.

La trottinette apparaît comme un formidable engin de mobilité, qui doit donc être règlementé par la collectivité, soutenu et investi par les entreprises, gestionnaires et par les utilisateurs. Elle permet surtout de définir une nouvelle échelle à la notion de plateforme multimodale en milieu urbain et périurbain dense. Traverser en semaine toute une zone urbaine en trottinette paraît audacieux, même si faisable, mais sortir du métro/ RER/ transilien pour finir un trajet en trottinette, c’est finalement favoriser les déplacements alternatifs à la voiture, ce que font déjà de nombreux propriétaires particuliers de trottinettes ; une initiative à encourager.

Oriane Guillemet, paysagiste conceptrice, utilisatrice occasionnelle de trottinette.

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